Stop biting your lip & start biting mine (Hayley)

« Attends, j’ai dû mal comprendre, j’ai cru que tu venais de me dire que t’allais te marier avec une nana qui a l’âge d’être ma fille. »  

Mon père avait pris l’habitude de m’appeler une fois par mois pour qu’on se donne des nouvelles. D’habitude, ces appels étaient relativement courts, rien d’extraordinaire ne s’étant passé dans nos vies, mais aujourd’hui c’était différent. Le paternel me retenait au téléphone depuis trois quarts d’heure, me racontant à quel point il était heureux avec cette fille qu’il avait rencontré il y a quelques temps, blablabla. C’était une bonne nouvelle en soi et j’étais contente pour lui, puis il m’avait annoncé cette énormité.

« Faut toujours que t’exagères ! Elle a trente ans, ça va, c’est pas non plus une gamine. Et puis c’est toi qui voulais que je trouve quelqu’un, non ? » J’éclatai nerveusement de rire avant de répondre : « C’est ce que je voulais ouais, mais quand j’étais ado. T’as soixante-quatre piges putain ! Qu’est-ce que tu vas foutre d’une nana qui a la moitié de ton âge ? » Et lui de rétorquer qu’il faisait ce qu’il voulait, que j’avais pas à me mêler de sa vie, et tout ça. « Bon écoute, tu fais ce que tu veux, t’es un grand garçon après tout. Je trouve que c’est une très mauvaise idée, mais bon … », finis-je par dire. Ça commençait à me fatiguer cette histoire, et j’avais autre chose à faire que tenter de raisonner cette tête de mule. De toute façon, comme il le dit, c’est sa vie, il fait ce qu’il veut et ça ne me regarde pas. Bref … je le remercie d’avoir appelé, lui dit au revoir et raccroche enfin le téléphone avec un certain soulagement. Putain, qu’est-ce qu’il me fait, mon père ? Il a l’air heureux et tout ça, mais … Oh et puis merde, j’ai plus envie d’y penser.

J’ai faim et mon temps de pause s’est déjà largement écoulé. Bon sang, j’avais dit aux autres que j’irai déjeuner avec eux. J’espère qu’ils ne sont pas encore en train de m’attendre parce que je m’en voudrais qu’ils s’affament pour moi, haha. Bon. Je prends ma bouffe dans mon sac et me dirige vers la salle de pause. J’ai juste envie de me poser un peu, de manger mes nuggets en ne pensant à rien et puis m’en griller une aussi, même si officiellement j’ai arrêté de fumer il y a des années, quand je suis tombée enceinte. Y a plein de trucs que j’ai arrêté à ce moment-là d’ailleurs. Fumer, boire, me taper n’importe qui sans faire attention. En fait, non, j’ai pas vraiment arrêté ce dernier point. J’aime beaucoup trop ça.

« Wow, je t’avais pas vue ce matin… T’es belle ! Super tenue ! »

La voix d’Ulf, mon monteur vidéo préféré, m’accueille. Avec un sourire charmant en plus de ça, et un de ses compliments habituels. J’aime bien les compliments, alors j’aime bien Ulf. Et puis, on s’amuse à flirter, on se drague l’un l’autre sans rien attendre en retour, c’est un petit jeu très sympa entre nous.

« Merci. J’avais quelques doutes sur la couleur. » J’avais voulu sortir de l’ordinaire en choisissant un tailleur jaune assez voyant (avec un décolleté lui aussi assez voyant d’ailleurs). Pour changer du gris ou du blanc habituel. Ma fille a rigolé en me voyant en disant que je ressemblais à un pissenlit, mais je ne suis pas certaine que l’avis d’une petite fille de sept ans encore à moitié endormie soit vraiment pertinent. Bon sang, ce que je l’aime. « La seule chose qui te manque, c’est un sourire ! Ça va pas trop ? C’est le coup de fil, c’est ça ? C’était chiant ? », reprend Ulf après que je me sois installée sur la chaise qu’il avait tirée pour moi. Quel gentleman. J’ai un peu l’impression d’être une princesse. Pour le coup, je le remercie d’un sourire, ce qui rend caduque la première partie de sa phrase. « Ça va, merci. C’était juste mon père qui fait des siennes. Il … enfin on s’en fout. »

Ça l’intéresse sûrement pas, mes soucis. Quoique, je me confie sans problème à lui et à d’autres de mes employés, ça me rend plus humaine, plus proche d’eux. Enfin j’espère. J’essaie en tout cas. Je veux pas être cette patronne un peu distante qui reste toute la journée dans son bureau à compter les billets.

Ulf me propose de mettre mon plat au micro-ondes pour moi alors je ne me gêne pas et lui donne. Ce midi, c’est nuggets de poulet maison et frites de patate douce, si ça vous intéresse. Je me suis mise à la cuisine il y a quelques temps, sinon Alicia serait exclusivement nourrie de plats préparés et de surgelés, la pauvre. De temps en temps, je fais même à manger pour le chat. Ce gros chanceux.

Bon, je peux enfin me détendre un peu et respirer un bon coup. Putain ce que ça fait du bien. Ça m’a tendue plus que cela ne le devrait, cette histoire. Ça m’énerve. C’est le boulot qui devrait me stresser, pas ce genre de conneries. Même si bon, c’est sûr que j’ai pas le boulot le plus stressant du monde. Mais passons. J’ai faim.

« Et toi beau gosse, ça va bien ? Pas de soucis à déplorer ? »,je demande à Ulf une fois revenu vers moi.

Ulf & Hayley

« Oh, tu sais, si t’as besoin de vider ton sac, je peux t’écouter ! »

Oui, c’est vrai. On se dit tout, ou presque, avec Ulf et les autres. Ce n’est pas seulement parce que je tiens à être proche de mes employés, c’est aussi parce que l’industrie du sexe est un milieu très … convivial ? Disons que la plupart des gens qu’on y rencontre sont de nature amicale et assez ouverts d’esprits ; il y a beaucoup … d’originaux, disons, aussi. J’imagine que c’est la nature de nos activités qui veut ça. Ce n’est pas du tout le même esprit que dans une entreprise d’un secteur plus classique. Mais bon, malgré ça je ne pense pas avoir envie d’infliger à Ulf mes états d’âme concernant mon père et ses frasques. De toute façon je me connais, dès ce soir je n’y penserai plus.

« Bah, je veux pas t’embêter avec mes soucis. Mais merci. C'est sympa. »

En attendant, je veux profiter de ma pause. Ulf, en bon gentleman, s’occupe de tout. Je manque d’éclater de rire quand il se met à chantonner en même temps que le micro-ondes. Il est drôle, Ulf. Je lui trouve parfois un petit côté … excentrique mais c’est le propre de tous les artistes. Parce qu’on a beau dire, ce qu’il fait pour Paradise, c’est de l’art. Peut-être pas le beau, ni le plus « noble » des arts, mais de l’art quand même. Après tout, le propre de l’art est de procurer des émotions, non ? Et je peux vous dire qu’elles en procurent des émotions, ses œuvres, haha.

Mais sinon, lui, comment il va ? Il passe une bonne journée ? Pas de soucis à déplorer ?

« Merci. Non, il y a… tout va bien, il y a rien. », m’assure-t-il. D’accord … s’il le dit. J’ai l’impression que ce n’est pas tout à fait vrai, mais après tout peut-être que cela ne me regarde pas. On a beau tout se dire par ici, chacun à des secrets. Alors je commence à manger sans rien dire. Ah, ce que ça fait du bien. C’est gras et réconfortant. Par contre, euh … ça va vite être le malaise, si Ulf et moi restons comme ça sans rien dire, alors je relance la conversation : « C’est sûrement pas mes affaires, mais je sens une certaine … animosité ces derniers temps, entre Chichi et toi. Tout va bien ? Je peux faire quelque chose ? ». Merde, voilà que je me mêle de ce qui me regarde pas finalement. Enfin, c’est pas comme si c’était un secret. Et j’ai pas l’impression qu’ils se détestent non plus. Et puis en vrai … dans l’absolu, tant qu’ils continuent chacun de faire du bon boulot et que ça pénalise pas les autres … Mais je mentirais si je disais que ça ne m'intéressais pas, cette histoire.

Ulf & Hayley

Pas mal de monde était au courant de la … discorde entre Ulf et Chichi, moi y compris. Faut dire qu’ils ne cherchaient pas vraiment à la cacher. Arf … d’une manière ou d’une autre, il fallait que je m’occupe de cette histoire avant que cela ne dégénère ; parce même si c’est vrai que ça ne regarde qu’eux deux, ben ce sera peut-être pas tout le temps le cas si ça commence à emmerder les autres et que quelqu’un décide de s’en mêler. Je suis leur boss, donc en toute logique c’est à moi les gérer les problèmes de la boîte. Même de ce genre-là. Je dois avouer que ce n’est pas trop mon truc, mais tant pis.

«  Je ne pense pas que tu puisses faire quoi que ce soit. C’est juste… on a des personnalités très différentes, et c’est tout ! On peut pas plaire à tout le monde, c’est la vie, c’est comme ça. Et ça se voit parce qu’on travaille sous le même toit, mais autrement… Autrement ça se verrait pas. Je pense… » , m’explique Ulf. Je l’écoute en hochant la tête. Ouais … j’imagine qu’il n’a pas tort. En fait … « Tant que vos histoires n’empêchent ni l’un de vous, ni qui ce soit d’autre de bosser correctement, vous pouvez bien vous détester autant que vous le voulez. » J’achève ma réplique d’un petit rire, histoire qu’il ne le prenne pas mal ou quoi. Je n’ai pas envie de m’impliquer, pour l’instant. J’espère que c’est la bonne manière de faire. On ne m’a pas beaucoup formée à la gestion de conflits. Pas de chance.

Putain, entre ça et l’histoire avec mon père … ça me mine un peu le moral et je sens bien que ce ne sont pas quelques frites qui commencent déjà à tiédir qui vont me faire me sentir mieux. Je pousse un long soupir et regarde un long moment le monteur dans les yeux. Ça me ferait peut-être du bien de lui en parler, de ça, même s’il risque de s’en foutre – et il aurait sûrement raison. Mais peut-être qu’il aurait quelque chose à dire là-dessus, peut-être que j’ai besoin d’avoir un point de vue masculin sur ce bordel, peut-être que c’est moi qui ait tort. Tort de … trouver que ce n’est pas une bonne idée, que c’est même limite malsain. Mon père, se marier avec une nana plus jeune que sa propre fille …

« Je … Mon père veut se marier avec une gamine de trente ans de moins que lui, et j’sais pas quoi en penser. » Bon. Lui qui voulait savoir pourquoi je n’avais pas l’air d’aller … il est servi.

Ulf & Hayley

Bon, plus j’y pense et plus je me dis que je ne suis pas bien placée pour commenter les choix amoureux de mon père ; après tout, moi aussi j’aime bien me taper des gens plus jeunes que moi. Sixtine, ce jeune de dix-neuf ans que j’ai rencontré sur Tinder il y a trois semaines, mon ancien coach sportif … et … un certain nombre d’autres personnes encore. Mais c’est pas pareil, hein ! il s’agit pas d’amour, dans la plupart des cas – enfin, pour Six, c’est … c’est compliqué, disons. Mais pour les autres … la plupart du temps il n’est question que d’une ou deux nuits. Parfois plus. Mais ça n’a rien à voir. Enfin … je crois. Peut-être ne me dis-je cela que pour me rassurer de je ne sais pas quoi. Je n’en sais rien … oui mais non. Clairement, ça n’a rien à voir. Le paternel, il parle carrément de mariage. D’engagement à long terme avec cette nana qu’il ne connaît que depuis quelques mois … merde.

« Ah… ben… Est-ce qu’il est heureux ? », s’enquiert Ulf aussitôt que je lui ai révélé ce qui me minais. Je prends quelques secondes pour y réfléchir, en faisant semblant d’être absorbée par le contenu de mon assiette. « Je … Je sais pas. Il avait l’air en tout cas. » Mais ça veut rien dire, hein ? Peut-être qu’il était juste content parce que son équipe de foot préférée venait de gagner un match ou je ne sais quoi. Et puis … le téléphone ça déforme la voix aussi, surtout à longue distance, c’est parfois trompeur. Ouais, ça peut juste être ça. Comment ça, je suis de mauvaise foi ?

« Mais … », je reprends après un soupir, « ce qui m’inquiète le plus, c’est que s’ils font pas gaffe … Euh … je pourrais potentiellement me retrouver avec un demi-frère ou une demi-sœur et ça … » Je veux dire, techniquement, c’est possible non ? Mon père n’est pas si vieux que ça, il pourrait tout à fait, euh … Mais en fait, j’ai pas trop envie de penser à ça. Imaginer mon père en train de copuler avec sa dulcinée, bizarrement ça me donne pas vraiment envie. Mais quand même … il se retrouverait avec un gamin plus jeune que sa petite-fille et … Bon, je m’avance un peu trop là. C’est juste moi qui m’imagine des choses. Ils n’en sont pas là. Et j’espère qu’ils n’y seront jamais.

J’ai plus tellement faim, avec ces conneries. De toute façon, j’avais presque terminé. Je vois Ulf avec un café et du coup j’ai envie d’un boire un moi aussi. Et une petite cigarette avec ça … je dois en avoir une ou deux sur moi. J’en prends jamais plus parce que j’ai pas envie que ça redevienne une habitude. Ouais. Je vais faire ça. Ça me distraira deux minutes, m’évitera de trop y penser parce que sinon j’en aurai pour le reste de la journée et j’ai pas mal de choses à faire …

« Désolée de t’emmerder avec mes problèmes, au fait. », je dis à Ulf en me levant. « Tu dois me trouver conne … » D’habitude, ce genre de trucs c’est plutôt une bonne nouvelle. On est censé être heureux quand on nous dit ça. C’est quoi, mon foutu problème ?

Ulf & Hayley

J’aime mon père, et je veux qu’il soit heureux … mais ça me fait bizarre. Lui qui veut se marier avec une jeunette, au bout de si peu de temps … c’est presque comme s’il avait oublié que ça voulait dire quelque chose, le mariage. Que c’est un putain de symbole. Tu te maries pas avec quelqu’un juste parce que tu l’aimes, mais parce que t’es prêt à ne plus aimer qu’elle jusqu’à la fin de ta vie, nuance. Enfin … je suis sans doute mal placée pour parler de ça. Je ne me suis jamais mariée et je ne sais pas si je le serai un jour.  Mais bon, ce n’est pas de moi qu’on parle, là. Même s’il y en aurait, des trucs à dire …

« Je pense que c’est le plus important : son bonheur. S’il est heureux, c’est une bonne chose. Je… je sais que c’est difficile à entendre, mais il ne se marie pas pour te faire plaisir à toi, mais bien pour lui. Et éventuellement cette fille. », me dit Ulf avec un sourire. Ouais. Ouais il a raison … évidemment qu’il a raison. Mais le truc, c’est que c’est pas comme si c’était la première fois que mon père se disait suffisamment heureux avec une donzelle pour vouloir l’épouser. Des conquêtes il en eu plein, c’est qu’il aime beaucoup les femmes mon père … le plus souvent ça ne durait que quelques semaines. Rarement des mois, et plus rarement encore des années. Mais à chaque fois il mettait fin à cette relation, car il disait qu’il ne trouverait jamais mieux que ma mère. Maman … putain les choses auraient été tellement différentes si elle n’était pas morte … même si … je peux pas trop lui en vouloir ... En tout cas, on dirait qu’il a franchi ce cap désormais. Qu’il s’autorise à aimer pour de bon une femme, à nouveau. Sauf que du coup, j’ai peur qu’il l’aime un peu trop. Que je me retrouve avec un demi-frère ou une demi-sœur dans neuf mois. Ulf a aussi son avis là-dessus. Son avis qu’on pourrait grossièrement résumer par « ça n’a aucune importance. » Ouais … ben, de toute façon, ils en sont pas encore là et loin de moins l’envie de leur suggérer l’idée.

Mais passons. J’ai envie d’un café, et besoin de m’aérer l’esprit en m’emplissant les poumons de fumée nocive. C’est signe que je ne vais pas très bien … Putain, je me donne l’impression d’une énorme conne … et de faire chier Ulf avec mes conneries. Mais il m’assure que non, que ça lui fait plaisir que je lui en parle. Je ne peux m’empêcher de lui sourire. « Merci, Ulf. » Je crois que ça me fait du bien, d’en parler. « Je vais pas essayer de te faire adopter mon point de vue », commence-t-il, « mais tu sais pour moi, les écarts d’âge, c’est vraiment pas quelque chose qui me choque ou qui me gêne… » Je le regarde dans les yeux, attendant la suite. « Par exemple, ça me dérangerait pas du tout de le faire avec une femme de 40 ans, blonde… »

Je souris. On dirait qu’il passe à l’offensive … c’est très, très intéressant. « Ah oui ? », je commence, entrant totalement dans son petit jeu. « C’est très précis, tu penses à quelqu’un en particulier ? » Je m’approche un peu plus de lui. « Parce que si c’est celle à laquelle je pense, sache qu’elle n’est pas du tout contre l’idée. » Une petite litote pour ne pas passer pour une fille trop facile. Puis un clin d’œil et un sourire. Pas très subtil, sans équivoque. Impossible qu’il ne comprenne pas le message.

Ulf & Hayley

Ça fait pas mal de temps qu’Ulf et moi jouons à ce petit jeu, mais bizarrement il n’a jamais osé aller plus loin. Parfois, ça me frustre … puis je me dis que ce n’est pas un mal. On est collègues ; pire que ça, je suis sa patronne. Ce ne serait pas une très bonne idée de … se rapprocher à ce point. Ce n’est pas que je crains ce que les autres pourraient en dire, c’est que … bah, je sais pas. J’arrive pas à l’expliquer. C’est compliqué en fait. D’un côté, j’aime bien ces petits flirts entre nous et j’ai envie qu’il se passe quelque chose, de l’autre je me dis que c’est mieux comme ça. Pourtant, c’est pas comme si la hiérarchie était un problème pour moi – après tout, moi et Lane, une autre de mes employées, on … se voit de temps en temps. Mais c’est pas pareil, c’est professionnel ! Enfin, quasiment. Bref …

« Cependant, la comparaison n’a pas lieu d’être. », avait dit Ulf. « J’ai 33 ans, il n’y pas un gros écart d’âge être nous finalement … Bien moins que celui entre ton père et sa dulcinée ! » Evidemment, il s’est … dégonflé encore une fois. Bon, c’est peut-être pas le bon terme, c’est un peu méchant, mais voilà. Enfin, au moins sait-il maintenant que je ne serais pas contre l’idée qu’il se passe quelque chose ; même si, encore une fois, ça me soulage qu’il ne décide pas d’aller plus loin. Sans pouvoir d’avantage expliquer pourquoi. Putain. « En effet. », je lui réponds, ne sachant pas trop quoi rajouter. Bon, c’est clair que je n’aurai pas autre chose que ma clope dans la bouche aujourd’hui. Mais au moins il m’a redonné un peu le sourire. Et quant à mon père et de sa nouvelle copine … bah il a qu’à bien faire ce qu’il veut. Comme si j’avais mon mot à dire de toute façon. On verra bien.

J’ouvre la porte-fenêtre qui donne sur la petite arrière-cour et allume ma cigarette, Ulf non loin de moi. Je ne lui en propose pas, je sais qu’il ne fume pas et puis j’en ai pas beaucoup. Je les garde pour ces moments où rien d’autre ne me fait du bien. Heureusement qu’il n’y en a pas tant que ça, j’ai pas besoin d’une addiction. Au prix que ces merdes coûtent en plus … Bref. J’ai intérêt à la savourer celle-là. Putain, ça me fait un bien fou.

« Au fait, je t’ai dit que j’étais sur un nouveau projet de bouquin en ce moment ? », je demande au monteur, changeant complètement de sujet. Je reprends une bouffée et poursuit : « Ce sera quelque chose de complètement différent de d’habitude … mais je sais que je pourrai compter sur toi pour le lire et me dire ce que tu en penses, n’est-ce pas ? ». Ulf est un grand fan de mon travail. De J'assume tout, surtout, mais je sais qu'il ne rechigne pas non plus à lire mes nouvelles érotiques. J'espère qu'il appréciera le changement.  

Ulf & Hayley

Bon, toute cette tension est retombée d’un coup. Evidemment. C’est toujours le cas. Ça fait partie de notre petit jeu à Ulf et moi, de se frustrer mutuellement, on s’est jamais attendus à ce qu’il se passe réellement quelque chose. On ne fait que s’amuser un peu. Enfin, je crois … parce que notre dernier échange m’a fait réaliser que je ne suis pas du tout contre l’idée en fait … je veux dire, y aurait pas vraiment de mal à ça, si ? On parle pas d’une vraie relation, d’engagement ou je ne sais pas quoi, ce n’est pas du tout une question de sentiment, il n’y a rien d’autre de mon côté qu’une pure attirance physique. Pour être claire, j’ai envie de me le taper. Mais en même temps, j’ai pas envie que ça se fasse. Et je sais pas pourquoi. Merde. Toute cette situation me frustre un peu, alors je me décide à parler d’autre chose pour ne pas rajouter ça à la liste des choses qui m’emmerdent aujourd’hui.

« Ah ? Non, c’est super ça ! » qu’Ulf s’écrie quand je lui évoque mon projet de livre. Il n’a pas l’air surpris que je passe ainsi du coq à l’âne. Bah. C’est peut-être mieux ainsi. Mais en même temps … notre petit flirt m’a laissée sur ma faim, j’aimerais bien que ça continue un peu. Mais à lui l’honneur de faire le premier pas. Enfin de le refaire. Je me comprends. En attendant, je continue de lui parler de mon projet, que je lui laisserai lire en avant-première pour qu’il me dise ce qu’il en pense. Quand il sera fini bien sûr – pas avant quelques mois au moins. « Oh carrément ! Et merci, c’est trop d’honneur ! » L’idée a l’air de beaucoup lui plaire. On pourrait même penser qu’il en rajoute. Mais je sais que non. Et je sais aussi qu’il n’a pas choisi innocemment de se mettre derrière moi ; il a pas besoin de se cacher pour regarder mon cul ou quoi que ce soit, alors il doit avoir quelque chose d’autre en tête. Je souris un peu, attendant la suite. Je dois bien avouer que ça m’excite un peu. Pas dans ce sens-là … pas encore en tout cas.

« Tu peux compter sur moi pour tout … je te décevrai pas… » C’est très sympa, Ulf, merci ! Et plein de sous-entendus aussi. Ou bien c’est moi qui sur-interprète. Difficile à dire. Nan. Vu comment il se comporte d’habitude avec moi, sa petite phrase n’a rien d’innocent … et ses mains qu’il vient de poser sur mes épaules, encore moins. Un petit massage, me propose-t-il. Oh. Je vois. Bien vu. Ça peut marcher, en effet … et puis de toute façon, ça ne peut pas me faire de mal. « Hum … oui, pourquoi pas. », je lui réponds, faisant exprès de paraître un peu froide. Ça aussi, c’est calculé.

« Laisse-moi juste enlever ma veste … », je poursuis en joignant le geste à la parole. Je porte un chemisier blanc en dessous. Très décolleté, et assez transparent en plus de ça. Suffisamment pour donner quelques idées. « J’ai justement une petite douleur là … », je fais en posant ma main dans le bas de mon dos, tout près de mes fesses. C’est faux, évidemment, et il l’a sans doute compris mais je sais qu’il jouera le jeu. C’est qu’il fait toujours.     

Ulf & Hayley

Un massage, hein ? Pas très subtil, Ulf. Mais en même temps, c’est peut-être bien de ça dont nous avons besoin pour passer à l’étape supérieure. Réussir à aller au-delà de la phase des simples mots, passer à l’action, au concret. Je ne sais pas pourquoi ça … bloque. On est tous les deux adultes, loin d’être timides, loin d’en être à notre premier flirt aussi. Dans tous les cas, ce rapprochement devrait débloquer quelque chose. J’indique à Ulf de mettre ses mains près de mes fesses, histoire qu’il comprenne bien ce que j’ai en tête, ce dont j’ai envie. Pas que je ressente une quelconque douleur ou tension par ici, ni même dans aucune autre partie de mon corps, non, je joue simplement le jeu.

J’écrase ma cigarette par terre et laisse Ulf me masser, les yeux mi-clos pour en profiter plus, me concentrer sur la sensation de ses doigts dans le bas de mon dos. « C’est bien comme ça ? », me demande-t-il d’une voix qui me paraît si douce. « Ouais ... » je commence. « Et là, c’est encore mieux », j’ajoute en souriant lorsqu’il vient coller son corps contre le mien, poser ses mains sur mon ventre et doucement m’embrasser dans le cou. Bah voilà … on y est. Enfin, c’est le début de quelque chose en tout cas. Un pas en avant. Bon alors, et maintenant ? Je tourne un peu la tête pour embrasser Ulf sur la joue, puis me détache un peu de lui pour lui faire face.

« Alors, qu’est-ce qu’on fait ? », je lui demande en passant une main dans mes cheveux. Parce bon, je dois bientôt reprendre le travail mine de rien, et lui aussi sûrement. Même si … je peux bien fermer l’œil sur un petit écart ; après tout, il faut battre le fer tant qu’il est chaud, si quelque chose doit se passer c’est tout de suite, on va pas attendre la fin officielle de la journée de boulot pour s’envoyer en l’air. Si c’est ce qu’on doit faire … moi, en tout cas, j’suis partante. Lui … ben, j’espère aussi. Ce serait dommage de tout arrêter maintenant. Faudra juste qu’on trouve où faire ça, pas trop envie de le faire par terre dans la salle de repos ou quoi, mais c’est un détail ça. Je suis très souple dans tous les sens du terme. On peut tout à fait faire ça contre un mur. Ou une porte. Ou … je m’emballe, là.

« Je crois bien que j’ai envie de toi Ulf », je reprends avec un sourire, avant de l’embrasser à nouveau, cette fois sur les lèvres. Difficile d’être plus explicite. Espérons simplement que nous ayons l'envie et le courage d'aller jusqu'au bout ...

Ulf & Hayley

Quand les gestes se substituent aux mots et que même les silences peuvent en dire long, c’est qu’on avance dans la bonne direction. En tout cas, avancer c’est bien l’impression que j’ai ; passer à l’étape supérieure, qu’on redoute mais dont on a aussi tellement envie. Enfin, moi j’en ai envie. Ulf … c’est pas aussi sûr. Il a l’air encore hésitant, même si c’est lui qui a fait le premier pas dans cette fameuse bonne direction. J’espère qu’il ne va pas se dégonfler … ce serait tellement dommage. Je le comprendrais tout à fait mais … nan, ça va se faire j’en suis sûre. Je sens qu’il en a tout autant envie que moi. Comme avec plein de choses, le plus dur c’est de se lancer. Une fois qu’on y est, il n’y a rien d’autre à faire que d’en profiter maximum. Et putain ce que je compte en profiter là.

Mais je lui pose quand même la question : qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Et bien sûr, il hésite … j’aimerais pouvoir être certaine de ce qui l’inquiète exactement. Ce n’est pas un éventuel refus de ma part, il a bien compris que je suis partante. Notre écart d’âge – minime par ailleurs – n’est pas un problème non plus, sinon ce serait hypocrite. Alors … c’est quoi le problème ? Bah, c’est sans importance. Il a comme un regain de courage d’un coup et répond à mon baiser avec un autre. On y arrive. Peut-être. Pour l’instant, ses caresses se cantonnent à mes bras, au haut de mon corps, mais je ne perds pas espoir qu’elles s’aventurent sous peu vers des zones autrement plus intéressantes et … excitantes.

« Ici ? » demande soudain Ulf, « C’est pas… Je sais pas, c’est pas terrible quand même… Je voudrais faire ça ailleurs… Dans un des studios peut-être ? » Je recule un peu et hoche doucement la tête. Oui, j’imagine que ce serait sans doute un endroit plus approprié. Il y aura de quoi se mettre à l’aise. Un lit … ou au moins un canapé. Et puis la température est idéale – ni trop froid ni trop chaud ; parce que mine de rien, on n’est pas à l’aise sinon et on baise pas bien, du coup ça rend moyen et on gâche la journée de tout le monde. Mais je m’égare un peu. « Hum … je crains qu’ils soient occupés. » On doit avoir repris les tournages à cette heure-ci. Peut-être. Pas envie d’aller vérifier. « Mon bureau. C’est pas loin. C’est pas le plus confortable mais on sera bien. » Ca me gêne pas de le faire sur le bureau. Juste faire un peu de place. Ou sur le siège en cuir ; attention aux roulettes cependant, un accident est si vite arrivé. Ou juste par terre, le parquet est très propre. Enfin … de toute façon, j’ai l’impression que cette histoire de pure logistique n’est qu’un prétexte.

« Hé, » je demande à Ulf tout près de son oreille. « Pourquoi t’es aussi nerveux ? T’en es pas à ta première fois ! » Je l’embrasse à nouveau. « C’est pas grave si tu le sens pas. Ce serait … dommage mais je vais pas te forcer non plus. » Ouais enfin j’espère qu’après toutes ces simagrées on va pas simplement repartir chacun de son côté en faisant comme si de rien n’était. Je lui souris et me recule un peu pour guetter ses réactions, sa réponse. Le pire qu’il puisse dire, c’est « qu’on fera ça une prochaine fois ». Parce c’est pas comme ça que ça marche. Ça n’a aucun intérêt de planifier ça, faut que ça se fasse dans le feu de l’action. Et histoire qu’il assume complètement son envie, et aussi pour l’exciter et le taquiner un peu, je lui demande, une de mes mains se rapprochant dangereusement de son entrejambe : « Tu as besoin d’une petite motivation, c’est ça ? » Il faut que je fasse attention quand même, ça pourrait tout aussi bien l’apeurer encore plus. Mais je crois qu’il me connaît suffisamment pour savoir que c’est mon genre, de prendre les devants. Tout devrait bien aller.

Ulf & Hayley

Il veut, ou il veut pas ? Souvent femme varie comme on dit, sauf que là, c’est plutôt monsieur qui ne semble pas savoir ce qu’il veut. Moi, je suis plutôt restée constante. Je sais ce que je veux et ce dont j’ai envie. Ulf, ben … j’ai l’impression qu’il va se débiner, comme d’habitude. J’aurais dû m’en douter … mais en même temps, on était jamais allés aussi loin qu’aujourd’hui. Je pensais que ça suffirait pour qu’on se lance, mais … ben faut croire que j’avais tort. Les studios étant probablement occupés, les autres retournés au boulot, je lui propose de faire ça dans mon bureau. Mais il préfère un truc confortable, qu’il dit. Mouais … comme si c’était primordial. C’est bien d’être à l’aise pour baiser, je le conçois, mais c’est plus une excuse qu’autre chose. Les studios auraient été disponibles ou j’aurais directement accepté d’y aller, il aurait trouvé autre chose, j’en suis persuadée.

Ce n’est pas qu’il le sent pas, c’est que tout n’est pas en place pour que ça fasse, qu’il dit. Ça ne veut pas dire grand-chose, mais je crois que je comprends. Ce qu’il faut, c’est juste qu’on arrête de réfléchir. Qu’on franchisse un nouveau pas. On aura le temps de le regretter plus tard. Il faut que je prenne les choses en main ; alors je me décide à prendre sa chose en main, pour le motiver un peu, l’exciter, mais … « Oula euh… Non là encore, je pense pas que ça soit une question de motivation et … » Il recule un peu, me repousse gentiment. Ah … bon. Je … crois que c’est clair. Merde. Je vais finir par croire qu’en réalité je ne lui plais pas. Ou bien, j’ai dit, fait quelque chose de mal ? J’ai pas l’impression d’avoir commis une erreur … peut-être que … nan, faut pas je pense à ça. Aucun de nous deux n’a fait d’erreur. C’est la faute de personne. « On devrait … on devrait retourner bosser non ? »

Cette phrase met fin aux hostilités. En d’autres mots, plus aucune chance désormais qu’il se passe quoi que ce soit aujourd’hui. Bon … j’imagine que ça valait le coup d’essayer. On se sera un peu amusés au moins, à défaut de s’amuser plus … intensément. « Ouais … », je dis à Ulf en m’éloignant de lui et en remettant ma veste. J'ai bien compris le message. « Dommage », je reprends simplement, avec un petit sourire pour lui faire comprendre que je ne lui en veux pas. Lui en vouloir pour quoi, de toute façon ? Evidemment, que cela allait être comme d’habitude, qu’on n’oserait pas s’aventurer plus loin. Mais bon, il fallait tenter le coup, sait-on jamais. « J’imagine que je vais devoir m’amuser dans mon bureau toute seule », je réplique avec un air malicieux. C’est que mine de rien, ça m’a un peu excitée tout ça.

« On ferait mieux d’y aller. C’est l’heure de toute façon », dis-je en revenant dans la salle de pause pour me préparer à partir.

Ulf & Hayley